Vingt ans de PC, deux grandes fortunes
L'invention d'IBM a surtout enrichi Microsoft et Intel
0n a connu des anniversaires plus gais. Le 8 août, Bill Gates et Andy Grove, les fondateurs de Microsoft et d'Intel, posaient devant des ordinateurs défraîchis. Avec quelques jours d'avance, ils s'étaient retrouvés au Tech Museum of Innovation de San Jose, dans la Silicon Valley californienne, pour célébrer le vingtième anniversaire du micro-ordinateur. Plus précisément, du modèle IBM PC, mis en vente aux Etats-Unis le 12 août 1981.
La période n'est pourtant pas propice aux réjouissances.
Pour la première fois depuis 1986, les ventes de PC sont
en recul Au deuxième trimestre 2001, les ventes mondiales
ont baissé de 2 % par rapport à la même période
de l'année précédente, selon le cabinet d'études
Gartner-Dataquest. Le reflux atteint 4 % pour l'Europe occidentale.
Du coup, Microsoft a annoncé fin juillet une estimation
en baisse de son chiffre d'affaires pour la période juillet-
septembre.
Dans l'urgence. Deuxième problème: l'invitation
de Gates et de Grove a suscité une controverse. "A
la mi-août, le PC célébrera son vingtième
anniversaire", annonçaient les deux entrepreneurs
sur le carton. Or, s'il existe un débat sur la naissance
du micro-ordinateur, il concerne l'Altair 8800, vendu en 1975
et considéré comme le premier micro-ordinateur aux
Etats-Unis, et le Micral du Français François Gernelle,
commercialisé deux ans plus tôt. En 1980, une vingtaine
de jeunes entreprises informatiques, dont Apple, écoulaient
déjà 724000 micro-ordinateurs, selon l'institut
d'études Gartner-Dataquest. Réactions contrites
et articles de presse se sont donc multipliés aux Etats-Unis
la semaine passée pour rappeler à Bill Gates et
à Andy Grove qu'ils ne fêteraient pas la naissance
de la micro- informatique mais, au mieux, du modèle qui
avait propulsé cette industrie.
Au début, "personne n'avait la moindre idée
de son succès", indique l'un des ingénieurs
d'IBM. Ce produit avait été conçu dans l'urgence;
le logiciel qui en assurait le fonctionnement était issu
d'un programme baptisé Q-DOS pour Quick and Dirty Operating
System" par son créateur (traduction possible: "système
d'exploitation vite torché"). Mais ce modèle
allait populariser la micro-informatique. Il allait établir
le principal standard de l'industrie, embrassé par des
centaines de fabricants ou d'assembleurs. Un standard résumé
par l'acronyme Wintel, décrivant le couple formé
par Windows pour le système d'exploitation, le logiciel
permettant de faire fonctionner la machine, et Intel, le microprocesseur
qui traite les informations. IBM pensait vendre quelque 220000
de ses machines les cinq premières années. La firme
en écoulera 3 millions. I'an passé, 140 millions
de PC (toutes marques confondues) étaient vendus.
Potentiel. Accessoirement, et c'est la le plus surprenant,
cette invention allait transformer en milliardaires les fondateurs
de Microsoft et d'Intel, mais personne chez IBM, qui en est pourtant
à l'origine.
Bien qu'il domine l'informatique, le constructeur voit poindre
la concurrence dans un domaine qu'il a négligé:
la micro-informatique. Nous sommes en 1980. Ce n'est pour l'instant
qu'un passe-temps de passionnés, niais l'entreprise pressent
son potentiel. Il faut aller vite, et elle décide alors
de rompre avec ses méthodes traditionnelles. Elle réunit
en secret une équipe de jeunes ingénieurs et l'expédie
en Floride, avec cette mission: inventer un micro-ordinateur bon
marché, rapide, le tout en une seule année. Les
"douze salopards" (dirty dozen, ainsi sont-ils surnommés)
élaborent la machine à partir de. Composants disponibles
dont le microprocesseur Intel. Manque une pièce produit
indispensable à l'édifice: le système d'exploitation.
Après avoir essuyé un refus poli d'un premier prétendant,
Digital Research, IBM se tourne vers une jeune firme créée
en 1975, Microsoft.
"Rente". C'est alors que Bill Gates réussit son plus beau coup. Il rachète tous les droits de Q-DOS pour la somme de 50000 dollars à la firme Seattle Computer. Et change le nom du produit, légèrement repeigné, qui devient MS-DOS ("MS" pour Microsoft et "DOS" pour Disk Operating System, le mot dirty étant astucieusement remplacé). Mais, surtout, il ne vend pas le produit à IBM mais le loue en quelque sorte. Pour chaque machine vendue, le constructeur informatique doit verser une redevance à l'éditeur de logiciels. Contrairement à ses concurrents IBM propose un produit à l'architecture ouverte dont le système d'exploitation appartient à un éditeur indépendant. Cette décision suscite une concurrence qui peut librement fabriquer des "clones". C'est ainsi que naît le fabricant Compaq. Aujourd'hui, on s'interroge toujours sur la voie choisie par IBM, laissant d'autres que lui tirer les bénéfices de son produit. "L'ouverture de l'architecture était la bonne décision, plaide aujourd'hui David O'Connor, responsable de l'ingénierie des "douze salopards" (1). Elle encouragea l'adoption internationale des standards et favorisa la baisse des prix, de telle manière qu'un nombre croissant de gens et d'entreprises puisse bénéficier des avantages des ordinateurs. " Mais, dans le même temps, Microsoft se mettait à encaisser une redevance pour chaque micro-ordinateur vendu, que ses adversaires décrivent comme une "rente" ou une "taxe".
Hoquetant. Aujourd'hui, pour ses détracteurs,
le PC, qui emmagasine les fonctions, se transforme en une machine
lourde et malcommode. Elle serait, par ailleurs, menacée
par une kyrielle d'appareils spécialisés, consoles
de jeux ou d'accès au Web. Les fabricants d'ordinateurs
et Microsoft y voient au contraire des compléments. La
machine, en tout cas, suscite des réactions contrastées
de ses utilisateurs: admirateurs des nombreuses possibilités
offertes mais agacés par les dysfonctionnements d'un outil
qui, plus de vingt ans après sa naissance, reste hoquetant.
C'est le cas de l'un des participants à la commémoration,
Dave Bradley, l'un des "douze salopards", qui évoquait
le procédé consistant à appuyer simultanément
sur les trois touches "control", "alt", "suppr"
pour faire redémarrer un PC qui a planté: "Je
l'ai peut-être inventé mais Bill (Gates, ndIr) l'a
rendu cé1èbre: c'est le bouton d'allumage pour NT",
référence ironique à la version de Windows
pour les entreprises et aux dysfonctionnements des logiciels Microsoft.
LAURENT MAURIAC (Libé du 12 août 2001)
(1) Cité Far le San Jose Mercury News, www.siliconvalley.com/news/speciaI/birthofpc/